La bataille de Fumel
Jean Louis Cavalier
Pour ceux qui croient qu'on ne peut rien faire contre les licenciements et les délocalisation, à lire absolument. Interview:
• En 2003, la Sadefa de Fumel est devenue Fumel-Technologie, selon un projet industriel de reprise présenté par la CGT et accepté par le tribunal de commerce de Nanterre. Quelle en est l’histoire ?
Jean-Louis Cavalier - Il s’agit d’une implantation très ancienne, qui s’explique par la présence de charbon dans la région. Fumel a d’ailleurs été en relation avec les mines de Carmaux. Dans les années 1970, il y avait plus de 3 000 salariés et l’usine faisait partie du groupe Pont-à-Mousson. Depuis, progressivement et malgré des batailles très dures, le nombre de travailleurs a été divisé par dix : en 1986, malgré les grèves, l’activité acier a été abandonnée et les hauts fourneaux ont été éteints ; un crève-cœur, pas seulement pour les ouvriers, pour les habitants du bassin du Fumélois aussi, les hauts fourneaux faisant partie de leur histoire. Cependant, trois sites d’activité ont été maintenus, parce qu’il y a un savoir-faire de pointe, et les commandes comme les clients n’ont jamais manqué. Il faut dire aussi que nous nous sommes toujours battus contre le démantèlement, programmé d’abord par Pont-à-Mousson lorsque le groupe a abandonné le site de Fumel, qui est passé à Valfon puis à l’Union des banques suisses. Nous avons tout connu : Francis Mer comme PDG, les repreneurs-fossoyeurs du genre Tapie, la trahison de la CFDT, le licenciement d’un délégué du personnel, secrétaire CGT de l’usine, la criminalisation de l’action syndicale avec la mise en examen de 70 ouvriers après une occupation et une reprise musclée des CRS...
• Votre pari est risqué. Pourquoi avoir pris cette décision ?
J.-L. Cavalier - Les propositions de reprise lors du dépôt de bilan aboutissaient, à terme, à la fermeture de l’usine, projet qui a démangé depuis longtemps les patrons successifs. Les uns ne voulaient reprendre que des morceaux des trois activités du site (usinage et fonderie de chemises, usinage et fonderie à plat, usinage et fonderie acier) ; d’autres reprenaient le carnet de commandes mais pas l’entreprise. Dans tous les cas, il y avait perte des acquis obtenus par 20 ans de batailles syndicales, des licenciements, une baisse des salaires et la menace permanente de fermeture. Le risque concernait les ouvriers de l’usine, mais aussi tout le bassin du Fumélois pour un emploi industriel, on peut compter trois ou quatre emplois induits. Nous avions le choix entre nous battre, comme dans l’Est et le Nord, pour obtenir des primes de licenciements importantes, ou monter en interne un projet de reprise. La décision a été prise à la majorité du personnel.
• Quel est ce montage et pourquoi ne pas avoir choisi la formule de la coopérative ?
J.-L. Cavalier - Nous avons rencontré les coopératives, mais sur le plan de financement coopératif, il fallait engager les indemnités de licenciement, ce que nous avons refusé. L’organisation financière adoptée maintient l’activité des trois sites et le contrat social. Au départ, conformément à la loi qui exige un patron, le montage comportait 15 % du capital (150 000 euros) apporté par les ouvriers, les techniciens et les agents de maîtrise, 15 % par les cadres, 10 % par un ancien cadre, 60 % par le patron, Bernard Sallières, proposé par les experts. Comme nous avions une bonne expérience des margoulins, nous avons mis en place des éléments de contrôle comptable, ce qui nous a permis, à partir de novembre 2003, d’avoir la preuve que le patron tapait dans la caisse. Le patron a été licencié, ses actions récupérées.
• Tu pourrais être patron ? Comment cela se passe entre les salariés actionnaires et le syndicat ? Comment gères-tu cette situation ?
J.-L. Cavalier - Pas question de jouer au patron, c’est l’actionnaire ancien cadre qui assure la fonction de façon transitoire. Mais il y a des jours avec, et des jours sans. De toutes façons, je ne me fais aucune illusion sur la cogestion dans le système capitaliste : le contexte est très dur : les banques sont pour la fermeture et ne nous ont accordé aucun crédit - pas même ce qu’elles peuvent accorder à un particulier ; on vit de ce qu’on produit ; nos clients sont les grands trusts du poids lourd, du matériel agricole, de la sidérurgie ; la spéculation sur les matières premières fait rage. Mais notre engagement est formel : notre but est de maintenir et d’améliorer les conditions de vie et de travail des salariés. Là-dessus, le syndicat a sa totale indépendance et, si cet engagement ne peut être tenu, nous mettrons la clé sous la porte avec la garantie que nous donne le barrage sur le Lot, le trésor de guerre de l’usine.
• Et les ouvriers ?
J.-L. Cavalier - Depuis de nombreuses années, le syndicat a pour pratique d’informer sur les problèmes économiques, industriels et financiers de la boîte ; il y a eu une réelle formation des travailleurs. D’ailleurs, à chaque étape, nous l’avons bien senti, il y a des doutes sur les capacités d’ouvriers à tenir un projet industriel. C’est aussi un défi à relever. Il y a eu des périodes difficiles. Mais on tient au moins une assemblée générale par mois et cela discute. Aujourd’hui, le bilan sur le plan social est positif : aucun recul sur les acquis sociaux ; application du plan amiante avec des départs dans des conditions inégalées grâce à un bon accord ; passage de CDD en CDI ; embauches (10 postes de tourneur sont à pourvoir) ; 289 augmentations de salaire (50 euros par mois) ; conclusion d’un accord salarial avant de la fin de l’année 2004.
• Affaire à suivre ?
J.-L. Cavalier - Oui, comme au Pays de Galle où les mineurs ont repris leur mine, en Argentine où les ouvriers ont repris les usines que les patrons ont laissé en plan...
Propos recueillis par Michèle Pujas
Pour ceux qui croient qu'on ne peut rien faire contre les licenciements et les délocalisation, à lire absolument. Interview:
• En 2003, la Sadefa de Fumel est devenue Fumel-Technologie, selon un projet industriel de reprise présenté par la CGT et accepté par le tribunal de commerce de Nanterre. Quelle en est l’histoire ?
Jean-Louis Cavalier - Il s’agit d’une implantation très ancienne, qui s’explique par la présence de charbon dans la région. Fumel a d’ailleurs été en relation avec les mines de Carmaux. Dans les années 1970, il y avait plus de 3 000 salariés et l’usine faisait partie du groupe Pont-à-Mousson. Depuis, progressivement et malgré des batailles très dures, le nombre de travailleurs a été divisé par dix : en 1986, malgré les grèves, l’activité acier a été abandonnée et les hauts fourneaux ont été éteints ; un crève-cœur, pas seulement pour les ouvriers, pour les habitants du bassin du Fumélois aussi, les hauts fourneaux faisant partie de leur histoire. Cependant, trois sites d’activité ont été maintenus, parce qu’il y a un savoir-faire de pointe, et les commandes comme les clients n’ont jamais manqué. Il faut dire aussi que nous nous sommes toujours battus contre le démantèlement, programmé d’abord par Pont-à-Mousson lorsque le groupe a abandonné le site de Fumel, qui est passé à Valfon puis à l’Union des banques suisses. Nous avons tout connu : Francis Mer comme PDG, les repreneurs-fossoyeurs du genre Tapie, la trahison de la CFDT, le licenciement d’un délégué du personnel, secrétaire CGT de l’usine, la criminalisation de l’action syndicale avec la mise en examen de 70 ouvriers après une occupation et une reprise musclée des CRS...
• Votre pari est risqué. Pourquoi avoir pris cette décision ?
J.-L. Cavalier - Les propositions de reprise lors du dépôt de bilan aboutissaient, à terme, à la fermeture de l’usine, projet qui a démangé depuis longtemps les patrons successifs. Les uns ne voulaient reprendre que des morceaux des trois activités du site (usinage et fonderie de chemises, usinage et fonderie à plat, usinage et fonderie acier) ; d’autres reprenaient le carnet de commandes mais pas l’entreprise. Dans tous les cas, il y avait perte des acquis obtenus par 20 ans de batailles syndicales, des licenciements, une baisse des salaires et la menace permanente de fermeture. Le risque concernait les ouvriers de l’usine, mais aussi tout le bassin du Fumélois pour un emploi industriel, on peut compter trois ou quatre emplois induits. Nous avions le choix entre nous battre, comme dans l’Est et le Nord, pour obtenir des primes de licenciements importantes, ou monter en interne un projet de reprise. La décision a été prise à la majorité du personnel.
• Quel est ce montage et pourquoi ne pas avoir choisi la formule de la coopérative ?
J.-L. Cavalier - Nous avons rencontré les coopératives, mais sur le plan de financement coopératif, il fallait engager les indemnités de licenciement, ce que nous avons refusé. L’organisation financière adoptée maintient l’activité des trois sites et le contrat social. Au départ, conformément à la loi qui exige un patron, le montage comportait 15 % du capital (150 000 euros) apporté par les ouvriers, les techniciens et les agents de maîtrise, 15 % par les cadres, 10 % par un ancien cadre, 60 % par le patron, Bernard Sallières, proposé par les experts. Comme nous avions une bonne expérience des margoulins, nous avons mis en place des éléments de contrôle comptable, ce qui nous a permis, à partir de novembre 2003, d’avoir la preuve que le patron tapait dans la caisse. Le patron a été licencié, ses actions récupérées.
• Tu pourrais être patron ? Comment cela se passe entre les salariés actionnaires et le syndicat ? Comment gères-tu cette situation ?
J.-L. Cavalier - Pas question de jouer au patron, c’est l’actionnaire ancien cadre qui assure la fonction de façon transitoire. Mais il y a des jours avec, et des jours sans. De toutes façons, je ne me fais aucune illusion sur la cogestion dans le système capitaliste : le contexte est très dur : les banques sont pour la fermeture et ne nous ont accordé aucun crédit - pas même ce qu’elles peuvent accorder à un particulier ; on vit de ce qu’on produit ; nos clients sont les grands trusts du poids lourd, du matériel agricole, de la sidérurgie ; la spéculation sur les matières premières fait rage. Mais notre engagement est formel : notre but est de maintenir et d’améliorer les conditions de vie et de travail des salariés. Là-dessus, le syndicat a sa totale indépendance et, si cet engagement ne peut être tenu, nous mettrons la clé sous la porte avec la garantie que nous donne le barrage sur le Lot, le trésor de guerre de l’usine.
• Et les ouvriers ?
J.-L. Cavalier - Depuis de nombreuses années, le syndicat a pour pratique d’informer sur les problèmes économiques, industriels et financiers de la boîte ; il y a eu une réelle formation des travailleurs. D’ailleurs, à chaque étape, nous l’avons bien senti, il y a des doutes sur les capacités d’ouvriers à tenir un projet industriel. C’est aussi un défi à relever. Il y a eu des périodes difficiles. Mais on tient au moins une assemblée générale par mois et cela discute. Aujourd’hui, le bilan sur le plan social est positif : aucun recul sur les acquis sociaux ; application du plan amiante avec des départs dans des conditions inégalées grâce à un bon accord ; passage de CDD en CDI ; embauches (10 postes de tourneur sont à pourvoir) ; 289 augmentations de salaire (50 euros par mois) ; conclusion d’un accord salarial avant de la fin de l’année 2004.
• Affaire à suivre ?
J.-L. Cavalier - Oui, comme au Pays de Galle où les mineurs ont repris leur mine, en Argentine où les ouvriers ont repris les usines que les patrons ont laissé en plan...
Propos recueillis par Michèle Pujas
1 commentaire:
et pensez vous au gens qui travaille et demande leur regularisation en tant que conjoint de français ou française pourquoi n y a t il pas une assiociation a fumel pour aider ces personnes ne pas les laisser tomber dans un piege a la prefecture ce sont des etres humain non
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