BAYROU: Le boomerang du « vote utile »
Par François Duval
Empêcher Sarkozy de remporter l’élection présidentielle constitue sûrement un des moteurs les plus puissants du choix de nombreux électeurs. Ce critère a assuré le triomphe de Ségolène Royal sur ses concurrents lors des primaires internes au PS.
Affirmer que Ségolène Royal a été choisie « contre les éléphants et l’appareil du PS » est pour le moins exagéré. Mais elle n’était pas a priori la candidate naturelle des hiérarques. L’argument déterminant de sa victoire est qu’elle est apparue comme « la plus à même de battre Sarkozy ». Et c’est cette seule conviction, d’abord partagée par les sympathisants PS, puis parmi les nouveaux adhérents à vingt euros, qui a fini par emporter la décision de l’appareil et des militants.
Les questions sur le programme et les propositions sont restées au second plan lors de ce processus. La phase des débats participatifs a entretenu un faux suspens jusqu’au discours programme de Villepinte : pour l’essentiel, le « pacte présidentiel » reprend le projet socialiste, agrémenté de quelques mesures encore plus droitières. D’où un certain sentiment de déception dans l’électorat de gauche : les centaines de débats, les cercles « Désir d’avenir », les proclamations d’indépendance, les courriers électroniques… tout ça pour ça ? Et la mécanique a commencé à s’enrayer...
La baisse dans les sondages et la possibilité d’être rattrapée par François Bayrou sont le produit direct du positionnement de départ : l’argument principal et quasiment unique – la meilleure pour battre Sarkozy – en faveur du vote Royal revient comme un boomerang à la face des stratèges socialistes. Et si elle n’était pas la meilleure pour battre Sarkozy ? Et si, finalement, François Bayrou, capable d’attirer les électeurs du centre gauche et du centre droit, était le mieux placé pour cette mission ? Alors, le doute s’insinue… et les premiers rats quittent le navire, tels Claude Allègre ou Éric Besson, en charge du « chiffrage » d’un programme qui évolue… au gré des enquêtes d’opinion.
Le « problème Bayrou »
Le « problème Bayrou » a rouvert le débat au sein du PS, mais uniquement sous l’angle le plus électoraliste qui soit. Faut-il, comme le propose Laurent Fabius, pratiquer « l’opposition frontale » et afficher résolument une « ligne de gauche » pour rassembler son camp ?
Faut-il, comme s’y emploie Dominique Strauss-Kahn, commencer à construire des passerelles avec le centre droit de Bayrou, quitte à crédibiliser ce dernier auprès des électeurs de gauche ? Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que l’ampleur du résultat socialiste au premier tour est devenue leur obsession. Et qu’ils ont tous été au moins d’accord sur une partie de la réponse : Ségolène Royal doit faire le meilleur score le 22 avril. Et, pour cela, ne pas hésiter à agiter le spectre du 21 avril 2002, le mieux étant encore qu’il y ait le moins de candidats à la gauche du PS ! Jamais, même en 1981, les pressions sur les maires pour ne pas signer pour les candidats de la gauche radicale n’avaient été aussi fortes. Au-delà du refus du pluralisme dont témoigne cette attitude, c’est un fort mauvais calcul : si Ségolène Royal veut l’emporter, elle aura besoin que la gauche dans son ensemble soit majoritaire. Si, du moins, elle veut gagner « à gauche »… Pour l’instant, ses alliés naturels sont à la peine : Marie-George Buffet peut toujours se déguiser en candidate anti-libérale, elle risque de ne pas dépasser le score de Robert Hue en 2002. Et Dominique Voynet n’a absolument pas convaincu de ses « performances » d’ancien ministre en matière d’écologie !
Les seules réponses des socialistes à la montée de Bayrou sont l’affirmation par Ségolène Royal de son indépendance retrouvée par rapport au PS et le pilonnage contre le candidat centriste : supercherie, imposture, etc. Leurs critiques de l’enracinement à droite de Bayrou ne manque pas de fondement mais, venant de sociaux-libéraux, elles manquent de substance. Et, surtout, elles risquent fort de ne pas suffire. Selon certains sondages, 42 % des électeurs (43 % des sympathisants socialistes) ne perçoivent pas de différence entre le projet de Royal et celui de Bayrou : une situation analogue à 2002, quand deux tiers des sondés avaient du mal à distinguer le programme de Jospin et celui de Chirac. On connaît la suite !
C’est là le cœur du problème : pour battre Sarkozy, pour faire la différence avec Bayrou, il faut une gauche de combat, défendant avec intransigeance le monde du travail. Pas une gauche molle et timorée sur le plan social, et encline à se placer sur le terrain de Sarkozy en matière de discipline, d’ordre et de sécurité. Royal critique bien la proposition de Bayrou d’exonérer de « charges » les deux premiers emplois créés. Mais elle-même ne jure que par les aides aux PME. Elle s’en prend à la volonté affirmée par Bayrou de réduire le déficit public. Mais elle a elle-même ouvert son discours de Villepinte sur le déficit et la dette !
Au-delà du résultat de l’élection présidentielle, l’enjeu du débat et des manœuvres en cours, c’est le contrôle futur du PS. Nul doute que s’il était, pour la deuxième fois consécutive, absent du deuxième tour, cela créerait un séisme à gauche. Le seul fait que cette hypothèse soit discutée sérieusement valide entièrement, pour la gauche radicale, une orientation d’indépendance totale vis-à-vis du social-libéralisme !
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