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PERDRE SA VIE À LA GAGNER Le stress au travail ou l’art de l’euphémisme

Dans le «Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail»1 remis au ministre du Travail, Xavier Bertrand, la réflexion sur les conditions de travail s’en tient seulement à la question du stress. Un euphémisme qui cache mal l’inconsistance d’un rapport qui se refuse de parler de «souffrance au travail» et d’en étudier les causes profondes et structurelles.

La mesure au service de la prévention

La mesure pour une comptabilité bien orchestrée. C’est là l’esprit du rapport, cette indéfectible croyance que tout est mesurable, le stress comme la souffrance, mais étrangement pas encore le suicide dans l’entreprise (les chiffres restent flous). Les méthodes libérales font la part belle à l’évaluation, comme si tout pouvait être évalué.

D’ailleurs, une des sources de la souffrance au travail est justement l’évaluation. Pour reprendre Christophe Dejours2, cette évaluation individualisée, quantitative et objective
ne dit rien de la réalité du travail. Pas plus que l’évaluation quantitative du stress, de la dépression, de l’anxiété. Car cela suppose que les difficultés au travail soient exprimées et affichées.

Qui peut raisonnablement penser que les salariés, dans le contexte actuel, vont donner à voir leurs faiblesses? Christophe Dejours explique que l’opérateur «pour lutter contre cette souffrance au travail, susceptible de rompre l’équilibre psychique, mobilise des défenses : défenses individuelles, défenses collectives sous forme de “stratégies collectives de défense”,
toutes étant capables de générer à leur tour de la violence sociale»3. Aussi, croire ou laisser croire aux décideurs politiques que la souffrance au travail, même dans sa version euphémisée,
n’est qu’affaire de mesures et peut facilement se dire, est un déni de réalité, voire une absurdité.

Du consensus et pas de vagues!

Tout au long des quarante-deux pages du Rapport, messieurs Philippe Nasse, statisticien, vice-président du Conseil de la concurrence, et Patrick Légeron, médecin psychiatre et directeur d’un cabinet-conseil privé en «changement comportemental», nous servent du consensus à toutes les pages. Comme une crainte que les suicides de ces derniers mois dans les
lieux de travail n’inquiètent par trop nos concitoyens. Après tout, pour le médecin psychiatre, Patrick Légeron, «le stress n’est qu’une formidable réaction de l’organisme pour s’adapter à
l’environnement […] en libérant des substances chimiques. C’est donc une réaction normale et utile». Ah! nous voilà rassurés, le stress, c’est chimique et normal. Il suffit de le mesurer, le
traiter et donner quelques pilules aux travailleurs.

Si, au lieu de nous endormir avec le stress, on parlait de violences et de souffrances au travail. Si dans les usines, dans les bureaux, on laissait les gens s’exprimer. Ce qu’ils raconteraient
ce n’est pas le stress, mais la violence d’un système qui broie, qui étouffe, qui ne donne plus aucune perspective. Ce que les travailleurs diraient, c’est qu’ils ont peur, peur d’être virés, passés en pertes et profits. En profit pour golden parachutes. Peur de ces petits harcèlements quotidiens, peurs de ce mépris. Ils diraient l’épuisement quotidien lié à des cadences qui s’accélèrent sans cesse, des heures qui s’étirent. «Travailler plus pour gagner plus », disait le candidat du Medef! La souffrance au travail s’exprime dans ce slogan désormais célèbre.

«Travailler plus… »

Depuis plus de dix ans, les travailleurs travaillent plus. Les chiffres sont là. Ils travaillent plus et les maladies professionnelles explosent. Les troubles musculo-squelettiques sont à ce titre un indicateur fort instructif. Ils augmentent régulièrement et relèvent pour l’essentiel de cadences excessives. Ces troubles se développent à l’occasion de mouvements répétitifs et lorsqu’il n’est plus possible de changer de postures et de modifier ses gestes. Tout médecin du travail ou ergonome sait que la diminution des marges de manoeuvre dans le travail provoque ce genre de pathologies.

Déjà, en 2002, le Bulletin d’information du Bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité4 relevait que «les troubles musculo-squelettiques du membre supérieur (TMS-MS) représentent une des premières causes de maladies professionnelles en Europe. […] Ainsi, des facteurs de risque biomécaniques (répétitivité, efforts, postures articulaires extrêmes) et psychosociaux ont été mis en évidence». Du stress à la souffrance, de la souffrance au suicide Souffrances, violences, suicides, c’est pas très «bling-bling». «Risques psychosociaux
», c’est mieux : il y a un peu de psychologie, d’individuel, donc un peu l’idée que le problème vient des travailleurs eux-mêmes.

Ainsi dès qu’un suicide intervient sur le lieu de travail, pour Légeron et Nasse, ça «ne veut pas dire systématiquement suicide lié au travail». Et ce qu’il convient de faire c’est «une autopsie psychologique». Pour permettre «le consensus d’approche», les experts nous invitent sérieusement à réaliser «le recueil minutieux des données susceptibles de reconstituer l’environnement psychosocial d’un individu qui s’est donné la mort et ainsi de mieux comprendre les circonstances entourant son décès. La collecte de ces données porte sur un grand nombre de paramètres qui incluent les détails de la mort, le paysage familial, le contexte
social, le parcours de vie, le monde relationnel, les conditions de travail, la santé physique et mentale et les antécédents, les éventuelles conduites suicidaires antérieures, les événements de vie négatifs, l’éventualité de contact avec des services d’aide ou médicaux avant le passage à l’acte et la réaction des proches au suicide». Le responsable est tout trouvé : c’est le travailleur lui-même!

Le capitalisme en cause

Le seul but de ce rapport est de proposer quelques mesurettes qui satisferont les patrons. Jamais les questions de fond ne sont abordées. Si tel était le cas, alors il faudrait convenir qu’en France, depuis dix ans, la situation s’aggrave, que les conditions de travail sont pires que pendant les décennies précédentes, que la souffrance est une donnée centrale du «pacte social» dans l’entreprise, que la crise du vivre ensemble au travail se déplace dans la cité.

Au-delà de l’analyse nécessaire de la souffrance au travail, c’est aux causes premières qu’il faut remonter. Sans grande surprise, l’organisation du travail et les diverses formes de management
en sont les éléments clés. Bien sûr, plus avant, c’est le principe même d’un système capitaliste, faisant de l’opérateur humain un simple maillon dans l’entreprise et l’inscrivant dans l’organisation en lieu et place de l’outil, qui pose problème.

La lutte contre la souffrance au travail passe par la prise en compte des savoir-faire, mais aussi des imperfections, des errances, des échecs comme autant de réalités qui ne doivent pas être cachées et ignorées. Cette réalité assumée n’est possible que dans un système où les opérateurs ne sont pas soumis aux règles du management Kleenex, et où leurs places dans la prise de décision en font des acteurs de premier plan. Cela suppose une réelle démocratie participative dans l’entreprise. Cette lutte nécessite aussi l’enrichissement du travail par décloisonnement
des tâches et multivalence non imposée. S’attaquer sérieusement à la souffrance au travail, c’est d’abord placer le travail, dans ses dimensions individuelles et collectives, et l’intelligence
opérative au coeur du système de production.

Le rapport remis à Xavier Bertrand ne pouvait évidemment pas s’inscrire dans une telle démarche. Le rêve n’est-il pas l’apanage des fous?

Christophe Abramovsky

Christophe Abramovsky est ergonome
de formation. Après quelques contrats
en entreprise, il démissionne, écoeuré
par le manque de marge de manoeuvre.
Il rentre en 1996 dans l’Éducation
nationale et est actuellement prof au
LP de Jolimont. Il est partie prenante
du processus de construction du nouveau
parti anticapitaliste proposé par
la LCR.

Notes:
1. «Rapport sur la détermination, la mesure et
le suivi des risques psychosociaux au travail»,
de Philippe Nasse, magistrat honoraire, et
Patrick Légeron, médecin psychiatre, remis à
Xavier Bertrand, ministre du Travail, des
Relations sociales et de la Solidarité, mercredi
12 mars 2008.
2. Christophe Dejours, professeur de la chaire de
Psychanalyse-Santé-Travail au Conservatoire
national des Arts et Métiers. Paris.
3. Christophe Dejours, «Souffrance en France.
La banalisation de l’injustice sociale», éditions
du Seuil, 1998.
4. «Le stress au travail», Bulletin d’information
du Bureau technique syndical européen pour la
santé et la sécurité, no 19-20, septembre 2002.

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