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Johnnie To : Élection 1, Élection 2

Élection(s) : piège à Hong-Kong
Par Bernard Chamayou



La triade Wo Sing, de Hong-Kong, pratique la rotation des mandats et procède tous les deux ans à l’élection de son président, parmi de sanglantes rivalités. Vouloir changer la règle, briguer un deuxième mandat, voire un mandat à vie, ou proposer un partage du pouvoir, entraîne de féroces règlements de comptes entre factions rivales…


Élection 2 est la suite et en partie l’envers d’Élection 1 : le parrain en exercice, avide de pouvoir, ne veut pas le rendre ; son successeur présumé le refuse… mais !

Ces deux films de mafia réfractent et concentrent dans leurs particularités de genre, des icônes et des thèmes dont l’enjeu les dépasse : la phallocratie, le pouvoir, la stratégie, l’ordre, le profit…


1 / Avoir le dragon, être le dragon


L’élection ne règle pas tout et pour devenir vraiment le Parrain, il faut avoir le sceptre, bâton sculpté à tête de dragon. Sa transmission se fait par les hommes (« oncles » et « frères ») et pour les hommes ; la « Société » secrète est phallocratique.

Ces films développent implicitement une sorte de théorie du pouvoir : malgré le vote et la possession du phallus à tête de dragon, le pouvoir, instable, est sans cesse menacé ; c’est une position intenable, car avoir le pouvoir, ce n’est pas être le pouvoir et cet écart impossible à combler tue sans limite ; c’est un rêve de dictateur ou un cauchemar d’arriviste. Le bâton de bois sculpté du maréchal de triade n’est que le substitut dérisoire de l’impossibilité de jouir du pouvoir1.


2 / L’art de la guerre


Le « sacre » du Parrain joue aussi un rôle idéologique : inscrit dans une tradition d’origine religieuse, il définit une morale (« fraternité », « harmonie », « unité »…), fixe des lois que les rapports de forces réels vont déborder de toutes parts, déchaînant parricides et fratricides dans la horde devenue sauvage.

La barbarie est la virtualité immédiate de la civilisation, selon les aléas de la loi du marché du crime ; au moment voulu, tel parrain raffiné devient un psychopathe sadique transformant une paisible partie de pêche en meurtre digne de celui d’Abel par Caïn. Tel autre réalise ce rêve universel : réduire ses ennemis en pâtée pour chiens… La cruauté n’est pas une nature mais une fonction au service de l’intelligence des situations : « Les voyous sans cervelle n’ont pas d’avenir », dit l’un des personnages…

Cette valorisation de l’habileté stratégique semble dériver d’un texte chinois très ancien, L’Art de la guerre, de Sun Tzu, qui part du principe que « la guerre n’est pas un fléau ponctuel ou une anomalie… mais bien une réalité permanente et inévitable… » qui doit mobiliser les vertus morales et intellectuelles, l’art de la simulation et de la dissimulation, de l’information et de la désinformation, de la ruse et de la duperie, de l’espionnage et de la discorde préalables… Des manœuvres de ce type règlent les péripéties de la lutte interne au gang ou externe avec la police.


3 / Le maintien de l’ordre


Ces films proposent aussi une conception de l’ordre, non pas comme un absolu mais comme un équilibre relatif, conception partagée par les « oncles » du gang et par les forces de sécurité. Le maintien de l’ordre ne suppose pas une éradication du crime mais sa régulation : il ne faut pas dépasser les bornes, voilà tout. La légalité importe peu, ce qui compte c’est ce qui est admissible et contrôlable dans un contexte donné.

L’ordre acceptable résulte de rapports de forces qui se modifient et se recomposent sans cesse ; c’est ce que montrent le découpage et la mise en scène : séquences parallèles ou symétriques, reprises ou inversions de motifs… par exemple les multiples scènes d’arrestations, de négociations ponctuelles et de rapides remises en liberté.


4 / Corrections et rectifications


Élection 1 avance par corrections et rectifications : raclées et exécutions symbolisent la construction du film. Filmer des groupes suppose des ruptures dans le récit, des ellipses et des reprises d’où se dégage peu à peu le conflit central entre les rivaux. Les moments de discussion sont souvent filmés en plans tournants, en gros plans mobiles ; les points de vue sont multiples, avec effets de contre-jour, pans obscurs où se tiennent les personnages et d’où ils sortent parfois, selon les enjeux de la situation… Johnnie To construit en morcelant, en imbriquant les différentes séquences, efficacement, sans gras ni zone d’inertie.

Élection 2 bénéficie de ces acquis mais sa construction est plus linéaire, les scènes plus accomplies ; la musique et le côté intellectuel, réflexif, du personnage principal produisent un léger climat hallucinatoire bien que ce film soit le plus clairement politique des deux. C’est en effet la « sécurité » chinoise qui piège le jeune parrain ; ses différents projets officiels d’aménagement du territoire vers Canton ne seront financés que s’il se fait nommer président à vie de la triade Wo Sing, avec transmission héréditaire et non plus élection, afin que « le calme et la prospérité » règnent durablement à Hong-Kong sur le marché des jeux, de la prostitution et du porno.

Il ne s’agit pas de grands films d’action, lyriques ou épiques mais de conflits nets, limités, répétitifs, circulaires ; peu de romanesque, peu de fascination pour les héros, comme on en trouvait encore, par exemple, dans la trilogie des Parrain de Coppola où la profondeur du temps et la Sicile perdue donnaient au souvenir de la saga familiale l’ampleur du mythe ou de l’opéra.

Pour Johnnie To, réalisateur matérialiste, la nostalgie compte peu et les références à la tradition n’empêcheront pas les revenus du crime organisé de Hong-Kong d’irriguer la Chine en développement.


1. La philosophe féministe américaine Judith Butler, dont on démarque ici le raisonnement, traite de ce problème d’un point de vue psychanalytique : « Pour ce qui est des hommes on peut dire qu’ils “ont” le Phallus mais sans jamais l’“être” au sens où le pénis n’équivaut pas à cette Loi et qu’il ne peut parfaitement symboliser cette Loi. Par conséquent, “avoir” le Phallus est une position nécessairement et fondamentalement impossible à occuper… Il faut comprendre qu’“avoir” et «“être” le Phallus sont des positions vouées à des échecs comiques… » (Trouble dans le genre, La Découverte, p. 130).

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