VENEZUELA: Référendum : les raisons d’une défaite
Dimanche 2 décembre, les Vénézuéliens ont répondu «non» à 50,70 % à la proposition qui leur était faite de modifier la Constitution de la République bolivarienne adoptée en 1999. Retour sur les raisons du premier échec électoral de Chávez depuis son arrivée au pouvoir.
Le 15 août dernier, Hugo Chávez annonçait en direct de l’Assemblée nationale sa volonté de voir modifier la Constitution actuelle. Dans un discours de six heures, il égrenait une à une ses propositions. On pouvait y trouver, entre autres :
– la reconnaissance de la participation populaire au travers des conseils de pouvoir populaire (par exemple, les conseils étudiants, paysans, etc.), les associations de travailleurs,de coopératives, d’entreprises communautaires;
– le renforcement du droit au travail incluant la création d’un fonds de stabilité sociale pour les travailleurs permettant à ceux-ci, avec l’aide de l’État, de bénéficier de droits étendus en matière de retraite, pensions, congés payés;
– la réduction de la journée de travail de 8 à 6 heures quotidiennes, et de 40 à 36 heures hebdomadaires;
– la reconnaissance des spécificités des groupes indigènes et des groupes descendants de l’immigration forcée africaine en leur garantissant la jouissance d’une attention particulière de la loi;
– la création d’un modèle économique productif étatique, fondé sur les valeurs d’humanisme,de coopération et de prépondérance de l’intérêt commun sur l’intérêt particulier. L’État promouvant et développant des formes distinctes d’entreprises et d’unités économiques de propriété sociale, commune ou étatique, de production et de distribution sociale, de statuts mixtes entre l’État et le secteur privé, en créant les meilleures conditions à la réalisation de l’économie socialiste.
Autant d’avancées sociales qui pouvaient laisser penser que les classes populaires se mobiliseraient pour voter une nouvelle fois en masse en faveur des propositions de Chávez. Or il n’en fut rien,au contraire.Le référendum est plus une défaite du président vénézuélien qu’une victoire de l’opposition. Si on compare les résultats à ceux de la dernière élection présidentielle, gagnée par Chávez avec 61,35 % des voix,l’opposition stagne avec 4 millions de voix alors que Chávez perd, lui, 3 millions de voix. L’abstention a été de 45 %.Finalement, c’est de seulement 200000 voix que la proposition constitutionnelle est rejetée.
Controverse sur l’article 230
La plupart des médias français est occidentaux sont très vite montés au créneau pour saluer la sagesse du peuple vénézuélien. Pour eux l’explication à cet échec est simple,linéaire,et se développe en deux points : refus d’un modèle socialiste «à la cubaine», et refus de permettre à Chávez de pouvoir se représenter à la présidence de manière indéfinie. Certes l’article 230 de la nouvelle Constitution proposait un allongement de la période présidentielle à 7 ans avec la possibilité de se représenter immédiatement et de façon indéfinie. Une telle proposition n’est évidemment pas satisfaisante. De là à conclure que Chávez veut faire du Venezuela une dictature comme cela a été écrit, c’est omettre un peu vite que ce même système est en vigueur en France ou dans d’autres démocraties européennes sans que cela ne pose le moindre problème à ces médias bien-pensants. Ceux-là mêmes ont d’ailleurs vite oublié de rappeler que le Venezuela est bien une démocratie puisque Chávez a reconnu sa défaite et félicité ses opposants au soir des résultats. Les raisons de la défaite sont sans doute à chercher ailleurs.
Un chavisme sans socialisme?
D’abord, en voulant satisfaire largement la population, la proposition n’a, finalement, satisfait personne. Le renouvellement du mandat présidentiel était clairement là pour satisfaire l’aile modérée du processus bolivarien. Celle qui se réclame d’un chavisme sans socialisme. Par contre, elle ne pouvait pas convenir à l’aile la plus radicale du processus. C’est ainsi que l’on a pu voir des personnalités comme Orlando Chirino, membre de la direction de la première confédération syndicale du pays, l’UNT (Unión Nacional de los Trabajadores), prendre officiellement position contre la proposition. À l’inverse, tout l’aspect social de la réforme, décliné plus haut, était inacceptable pour une nouvelle bourgeoisie bolivarienne qui ne veut pas du socialisme. De ce point de vue,un symbole fort a été la prise de position contre la réforme du général Baduel, vieux compagnon de route de Chávez.
Tentation du plébiscite et dramatisation de l’opposition
Ensuite, il y a très clairement eu un problème dans la méthode choisie par Chávez.Le président vénézuélien a travaillé à une réforme constitutionnelle, en la cantonnant à un groupe d’amis choisis et rassemblés autour de sa propre personne. Au-delà des propositions de réforme,Chávez a ainsi fait dis- paraître par décret la formule originale de cette révolution : celle d’un processus populaire, révolutionnaire, démocratique de caractère constituant. Le maximum qui a pu être obtenu est une scène de discussion ouverte autour de l’Assemblée constituante de 1999. Au moment où le contexte offrait la possibilité d’aller beaucoup loin, d’entreprendre une réforme en structurant des espaces d’échange et de pouvoir dans tout le pays, Chávez a mis au pied du mur tout le mouvement bolivarien et révolutionnaire en lui imposant d’être avec ou contre lui. L’issue restante, consistait en ce que le modèle de réforme proposé par Chávez soit un brouillon de travail pour toute une quantité d’espaces constituants organisés dans tout le pays,en cherchant peut-être son approbation mais en gagnant un modèle de légitimité, et de concrétisation de la démocratie constituante et révolutionnaire. De fait,la réforme passait quasiment au second plan car Chávez devait personnifier dans la campagne le référendum au point de le transformer en plébiscite. C’est le fameux «Voter “non” c’est voter Bush, voter “oui” c’est voter Chávez».
Face à cela l’opposition a développé une campagne terriblement efficace. À coups de spots publicitaires, mais aussi en allant dans les quartiers populaires,l’opposition n’a eu de cesse d’expliquer qu’avec la réforme et «l’arrivée du socialisme», l’État serait propriétaire de tous les biens privés et pourrait se saisir de manière absolument légale des maisons, voitures de tout un chacun. Jouer sur la peur, en expliquant que le socialisme c’est prendre à celui qui a peu ou rien, l’argumentaire à fait mouche.
Les contradictionsde la Révolution bolivarienne
Enfin, la raison principale de cet échec est sans doute la montée d’une certaine contestation dans le camp bolivarien. La volonté de résumer la Révolution bolivarienne à la seule figure de Chávez, la manière dont le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) se constitue, sans beaucoup de concertation, et aujourd’hui la façon dont on a tenté d’imposer la réforme, expliquent cette grogne. Il ne peut y avoir de démocratie révolutionnaire et «protagonique» sans démocratie délibérative.
L’abstention a été forte parce que la proposition de Chávez, tant sur la forme que dans ses contenus essentiels, n’offrait pas de perspectives pratiques démocratiques et contre-hégémoniques. Comme Sébastien Ville et François Sabado l’indiquent dans Rouge n°2230, «cette défaite répond à la dégradation des relations entre le pouvoir et les secteurs les plus combatifs de la révolution bolivarienne».
Il est utopique de penser que dans l’Amérique latine d’aujourd’hui, il est possible d’imposer des socialismes d’en haut. Le défi est de construire une démocratie radicale, opposée au statu quo actuel mais pluraliste en termes d’acteurs et d’idéologies populaires.
L’heure des choix est venue dans le processus bolivarien :soit celui-ci avance en construisant un socialisme vraiment démocratique, en s’appuyant sur les communautés, les conseils communaux, et plus largement le mouvement social, soit celui-ci décide de s’allier avec la droite et avec ceux qui optent pour une voie populiste sans changements profonds, comme l’a dessiné la prise de position du général Baduel.
Dans l’optique de rénovation de l’idéologie socialiste et de la construction du socialisme du XXI e siècle, la solution pour le processus bolivarien viendra de sa capacité à ne pas avoir peur d’entendre les critiques venant de son aile radicale, au premier rang de laquelle nos camarades du courant C-CURA (Courant de classe unitaire révolutionnaire et autonome) de l’UNT.Face à ce premier revers, les tentations vont être grandes pour l’aile modérée du chavisme d’imposer une nouvelle réforme en minorant les aspects socialisants ou socialistes, en expliquant que ceux-ci ont été la cause de l’échec du 2 décembre. Tout l’enjeu pour le mouvement social est donc de faire entendre que ce n’est pas l’idéologie socialiste qui est en cause, mais bien comment se construit un pouvoir populaire autonome, démocratique et révolutionnaire.
Yannick Lacoste
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