TARN : LA POSTE : Une grève exemplaire
Les postiers de Saint-Paul-Cap-de-Joux et de Graulhet viennent de mener une grève victorieuse qui a duré près d’un mois, Le Piment livre ici le récit d’un mouvement exemplaire, tiré d’un long entretien avec deux d’entre eux.
Sans aucun scrupule la direction générale de La Poste prépare le terrain à la privatisation. Petit à petit, elle met en place des structures qui lui permettront d’abandonner encore plus vite son statut de service public pour se transformer en simple entreprise capitaliste néolibérale comme les autres, au service des actionnaires.
Dans leur ensemble, les personnels de La Poste refusent cette privatisation rampante et de plus en plus de mouvements agitent les bureaux de poste sans qu’il y ait un mouvement national structuré.
Les postes de Saint-Paul-Cap-de-Joux et Graulhet dans le sud du Tarn, n’échappent pas à ce phénomène.
Une réorganisation du travail inacceptable
Le 16 avril dernier, les bureaux de ces deux communes distantes d’une vingtaine de kilomètres ont entamé un mouvement de grève. Ce mouvement faisait suite à un préavis déposé courant mars consécutivement à l’attitude de la direction. En effet, La Poste entendait imposer une nouvelle organisation du travail sans réelle concertation qui se traduisait par un alourdissement de la charge de travail des postiers et une réduction des effectifs.
Les postiers réclament l’annulation de la décision d’implantation des « casiers hybrides modulaires » (CHM) et la réorganisation du bureau de Saint-Paul.
Sous ce nom parfaitement neutre de CHM se cache en fait une véritable transformation du métier des facteurs. Ces casiers de tri sont destinés à augmenter la productivité des postiers, en remplaçant les casiers horizontaux de tri des lettres par des casiers verticaux, augmentant ainsi le nombre de casiers sur une même longueur et partant la charge de travail de chaque facteur.
Le but avoué de la direction est d’augmenter la productivité de 50 minutes par facteur et par jour, soit 4 heures par semaine. Le calcul est vite fait, si ce plan arrive à ses fins il permettra de supprimer près d’un poste de facteur sur sept.
Pour les postiers de Saint-Paul cette « réorganisation » se traduisait par deux propositions non négociables de la direction : travail de 35 heures sur 6 jours à Saint-Paul avec suppression du tri général, ou 37 heures et 30 minutes à Graulhet sur 6 jours avec une semaine de RTT après 14 semaines de travail et déplacement à Graulhet avec le véhicule personnel « compensé » par une indemnisation forfaitaire versée une seule fois, variant de 700 à 2000 euros en fonction de l’éloignement du domicile de chaque facteur.
Dans l’action…
À l’embauche du 16 avril les postiers n’ont pas encore pris la décision formelle de passer du préavis à la grève. C’est paradoxalement la directrice du bureau de Graulhet qui va trancher la décision en fermant la porte au nez des postiers, les considérant a priori comme grévistes. Sur ce, les postiers de Saint-Paul rejoignent leurs collègues de Graulhet dans leurs véhicules personnels, car ils avaient décidé de montrer leur refus du plan de la direction en observant au minimum une journée de grève.
C’est ce même jour que les postiers de Lavaur et Carmaux, après ceux de Castres, décident de ne pas lancer la grève.
Après deux jours quelques grévistes de Saint-Paul et Graulhet décident de reprendre le travail mais les autres décident de poursuivre le mouvement tant que les grévistes restent majoritaires.
Tous les jours les grévistes rendent visite à leurs collègues des autres bureaux pour expliquer leur grève et alerter la population (marchés de Graulhet et Saint-Paul, FR3, La Dépêche, Le Tarn Libre). À partir du 11e jour de grève la solidarité financière se met en place avec le soutien des collègues non grévistes des autres bureaux qui comprennent à quel point la réussite ou l’échec du mouvement peut avoir des conséquences sur leur propre avenir professionnel.
Le 1er mai, les postiers défilent poing levé dans les rues du centre d’Albi au côté des syndicats et partis de gauche. La collecte de soutien permet de récolter près de 800 euros, signe tangible du soutien d’une partie de la population. La détermination des grévistes n’en est que renforcée. On remarque dans le défilé la présence de Paul Quilès, à l’époque encore député PS de la 1re circonscription du Tarn, toujours maire de Cordes et surtout ancien ministre responsable de la mise en place de la séparation de La Poste et de France Télécom puis de la privatisation progressive de cette dernière.
… face à une direction dure…
Pendant cette période la direction ne reste pas les bras croisés, elle emploie tous les moyens, sans pour autant se laisser arrêter par la barrière de la légalité, pour briser le mouvement et assurer la distribution du courrier.
Sur la porte du bureau de Graulhet un document est affiché indiquant que seulement 19 grévistes sur 41 agents bloquent la distribution du courrier, elle « oublie » simplement de mentionner que les 19 grévistes représentent la totalité des facteurs et que les autres services de La Poste fonctionnent normalement pendant ce temps. Les mairies sont sollicitées pour mettre à disposition un local où les habitants peuvent venir chercher leur courrier à heures fixes.
À l’approche du scrutin municipal de 2008, les préoccupations électoralistes ne sont certainement pas étrangères à l’accord de la plupart des maires, à l’exception notable de quelques élus de gauche qui refusent de se prêter à cette mascarade. Le courrier est dans des bacs où des « personnels » de La Poste le distribuent à la demande. Il n’est pas difficile d’imaginer la pagaille les jours d’affluence…
Comme si cela ne suffisait pas, La Poste embauche en toute illégalité des intérimaires via des sociétés de travail temporaire ou envoie des cadres dans leur véhicule personnel pour effectuer la distribution. La complexité du maillage des routes et chemins fait découvrir les beautés du paysage à ces facteurs improvisés. N’écoutant que leur courage, les cadres, conscients et fiers de leur mission de défenseurs de la privatisation en marche, se déplacent par deux, par peur des chiens ? de la campagne ? du public ? allez savoir… Les erreurs de destinataires sont fréquentes et ce sont les citoyens qui finissent par s’échanger les courriers indûment reçus. Le spectacle de cinq cadres de La Poste entourant deux Clio débordant d’enveloppes en plein centre de Graulhet à midi, en dit long sur leur compétence !
La déontologie, la confidentialité du courrier deviennent des critères négligeables et la prestation de serment des postiers professionnels, une pantalonnade parfaitement démagogique !
Face à cette situation, les syndicats SUD 81 et CGT-FAPT, qui soutiennent la grève, décident de porter l’affaire devant le juge des référés et demande une astreinte de 700 euros par jour. Se sachant en tort, la direction ne manque pas alors d’exercer toutes les pressions qu’elle peut sur les grévistes pour qu’ils retirent leur plainte. Précaution inutile, sans surprise la justice n’oublie pas le modèle de société dont elle assure la garde, elle ne se fait pas prier pour débouter les grévistes. L’affaire n’en restera pas là, elle est dans les mains de la cour d’appel. Patience…
… qui tente la division…
Le 3 mai, la détermination des grévistes n’a pas faibli et la direction comprend qu’elle doit lâcher du lest. Quitte à céder, autant en profiter pour essayer de piéger les salariés. Elle tente de diviser le mouvement en faisant deux propositions distinctes, une pour Graulhet, une pour Saint-Paul, transmises individuellement par lettre (avec les facteurs en grève) à chacun des postiers.
À Graulhet :
• la cadence de tri avec les CHM passe de 1200 à 1000,
• 1 semaine de RTT toutes les 14 semaines de travail.
• suppression de 3 postes.
À Saint-Paul, toutes les revendications des postiers sont acceptées :
• retour à Saint-Paul comme bureau de rattachement,
• report sine die du tri général unique, disposition qui permettait la mise en place de CHM,
• 6 tournées avec une durée hebdomadaire de travail de 39 heures et 22 minutes. La « petite tournée » avec une DHM de 30 heures, devient un poste à temps complet.
Apparemment les postiers de Saint-Paul ont gagné. Mais leur naïveté s’arrête où commence la suffisance de la direction. Accepter cette proposition c’est rompre la solidarité qui fait la force du mouvement, c’est s’isoler et ne plus pouvoir compter que sur eux-mêmes lorsque la direction essaiera de nouveau d’imposer les restrictions qu’ils refusent. Ils décident donc de poursuivre le mouvement tant que les revendications du bureau de Graulhet ne sont pas satisfaites.
… sans succès…
Comprenant que la supercherie n’a trompé personne, la direction décide d’accélérer le processus et le vendredi 4 mai, une négociation de quatre heures aboutit à l’accord suivant :
• abandon de la mise en place de CMH à Graulhet, durée hebdomadaire du travail de 40 heures avec une semaine de RTT toutes les 7 semaines, maintien de tous les postes ;
• les résultats obtenus la veille pour Saint-Paul sont confirmés.
La direction met alors comme seule condition que ni SUD ni la CGT ne posent de préavis de grève contre la mise en place des CHM à Lavaur, Castres et Carmaux.
Avant de signer l’accord, les grévistes demande l’avis des postiers de ces trois bureaux qui ont eux-mêmes déjà accepté ces modalités de fonctionnement.
Les postiers de Saint-Paul et Graulhet sortent vainqueurs de cette confrontation et obtiennent en plus le paiement de 6 jours de grève
Résister est possible
Ce conflit exemplaire montre que la détermination dans la lutte n’est pas forcément une affaire de nombre, les bureaux de Graulhet et Saint-Paul ne représentent pas en eux-mêmes un enjeu déterminant pour l’avenir de La Poste dans son ensemble. L’attitude de la direction de La Poste montre cependant sa volonté de liquider son image de premier service public de France pour se transformer progressivement en entreprise libérale néocapitaliste au même titre que n’importe quel autre transporteur. L’implantation à Toulouse et à Lille d’une entreprise privée de distribution des petits plis marque les premiers pas de cette mise en concurrence directe.
Mais ce conflit montre également qu’un action déterminée des salariés peut faire reculer le patronat, malgré l’attitude arrogante et triomphaliste de la droite.
Rappelons que La Poste qui prétend être contrainte de réduire son personnel n’embauche plus que des contractuels, faisant disparaître en douceur les postes de titulaires à mesure des départs à la retraite. Rappelons également que l’entreprise – quelle autre dénomination peut-on lui donner aujourd’hui ? – a dégagé un bénéfice de 789 millions d’euros en 2006, soit quelque 3000 euros par agent. Il est clair que ce service public ne coûte rien au budget de l’État, mais peut-être sa rentabilité est-elle insuffisante pour attirer les investisseurs privés le jour où Bruxelles décidera que, le monopole étant liquidé, ce n’est plus l’affaire de l’État que d’acheminer et distribuer le courrier et qu’il est impératif de privatiser. Peut-être faut-il dégager des bénéfices encore plus substantiels pour financer des infrastructures qui seront ensuite bradées au privé. Peut-être faut-il que les postiers travaillent plus pour que La Poste entre au CAC 40.
Les postiers de Graulhet et Saint-Paul ont tenu leur engagement, il n’y a pas eu de préavis de grève ni à Lavaur, ni à Castres, ni à Carmaux. Mais la grève s’est étendue à d’autres villes de la région. La poste centrale d’Auch a connu une grève similaire qui a bloqué la distribution pendant plusieurs semaines sur une zone de distribution concernant 30000 personnes, même chose à Pamiers.
Malgré la victoire de Sarkozy, malgré le triomphalisme de la droite qui a gagné sur la peur et l’individualisme, le deuxième tour des élections législatives a montré que quand la gauche, même réformiste, se bat sur le terrain social, le pendule peut changer d’orientation.
Une lutte comme celle des postiers du Tarn montre que rien n’est inéluctable. Cette droite dont l’ambition gouvernementale est aussi faible que sa soumission au Medef est grande, recule sur tous les fronts dès qu’une opposition un peu structurée lui fait face. Cela a encore été le cas récemment avec le projet de réforme des universités.
Merci aux postiers du Tarn, ils ne se sont pas seulement battus pour sauver quelques postes et la LCR du Tarn sera toujours à leur côté dans les luttes à venir.
Antoine Dequidt
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