De la LCR au nouveau parti...
Avec Basile, de Rail-Rouge
(extrait de l'article de Mariane de Anna Borrel)
Aiguilleur à la SNCF, Basile milite depuis dix-huit ans à la LCR et depuis dix ans à Sud. La grève, c'est son petit Nöel. Et un formidable vivier pour le parti de Besancenot si la CGT négocie trop vite...
Un petit rayon de soleil éclaire le bout de la voie numéro 2, ce jeudi 15 novembre, à la Gare de l'Est. Sur un terre-plein jouxtant les rails, une troupe de cent cinquante cheminots se serre, anorak contre anorak pour lutter contre le froid. «Il y a du monde là, j'ai jamais vu ça… on est deux fois plus nombreux que le 18 octobre», lance Basile aux nouveaux arrivants qui viennent le saluer. Il est un peu plus de 11h00, au milieu du groupe, un leader syndical de la CFDT prend la parole : «Tout le monde est là ? On va commencer». Mais avant même que l'Assemblée générale ne démarre, la voix forte de Basile Pot s'élève déjà depuis la foule pour réclamer un vote. Motif : «C'est pas parce que l'intersyndicale a décidé que les journalistes n'étaient pas admis dans les AG que ça doit être comme ça. Dans les AG, c'est aux travailleurs de décider !» Un peu plus loin, Jean-Marc, photographe de Rouge, le magazine de la Ligue communiste révolutionnaire, attend de voir s'il peut rester… Mais Basile doit finalement reculer devant les rappels à l'ordre de Marie-Hélène, déléguée syndical de la CGT. A 38 ans, «militant professionnel» de la LCR depuis 18 ans, aiguilleur à la SNCF et membre du syndicat Sud-Rail depuis dix ans, Basile connaît la musique. Sa grande crainte ce matin : que la grève ne soit pas reconduite. «Il faut qu'on tienne jusqu'au 20 novembre, pour faire un grand mouvement avec les fonctionnaires… S'ils ne veulent pas que la presse reste, j'espère que c'est pas pour voter la reprise du travail en douce», s'inquiète-t-il.
Noël au mois de novembre
Une heure et demie plus tard, débriefing avec Jean-Marc dans un café près de la gare. Le visage du militant rayonne : «Reconduction à l'unanimité ! Même pas une abstention, rien !» Des sifflements de train retentissent, c'est la sonnerie du portable de Basile qui l'alerte des textos des « camarades » de la gare de Lyon, de la gare d'Austerlitz, de Bordeaux, Marseille… Son sourire s'élargit, il est midi et demi et le mouvement est reconduit partout en France. Un seul regret : «J'ai pas pu préparer le mouvement à fond : je travaille à mi-temps et c'est surtout quand je suis sur place que je peux sensibiliser les collègues. Mais je dois aussi aller aux AG de la ligue, écrire pour le Rail rouge, le fanzine qu'on distribue dans les cantines de la SNCF, coordonner le mouvement des camarades cheminots sur Internet…» Sans compter sa petite fille d'un an qui est malade, Basile est complètement débordé. Malgré des recrutements depuis deux ans en vue du « nouveau parti » que la LCR compte officialiser en janvier, les cheminots de la ligue ne sont guère plus de 70 dans toute la France. Et à la Gare de l'Est, Basile est tout seul. «En plus, cette gare est super difficile à bouger, maugrée-t-il. Je ne sais pas à quoi ça tient... mais regardez la Gare d'Austerlitz, chez eux c'est une insurrection tous les quinze jours!»
Soudain, la sonnerie du téléphone se fait plus forte : stop ! C'est Olivier Besancenot qui appelle. Il doit passer sur RTL dans quelques minutes. Basile l'informe brièvement, raccroche : «Olivier, c'est notre meilleure vitrine, c'est sûr. Il doit venir dans quelques jours à la Gare, j'espère que ça aidera les sympathisants à franchir le cap et à devenir adhérents de la Ligue. » Car malgré les bonnes nouvelles qui pleuvent, les temps sont durs pour le militant de la LCR. Basile a structuré sa vie en fonction de son «engagement» : il a choisi la SNCF «parce que c'est pratique pour militer», il n'a «pas raté un jour de grève depuis dix ans», il se rend à toutes les réunions de cellule, au stage de formation annuel de la Ligue, paye sa cotisation de 45 euros par mois, son abonnement à Rouge, et il s'est même marié à une militante de la LCR… Mais il sait qu'il ne peut pas demander un pareil investissement à ceux que l'organisation de Besancenot attire. De son propre aveu, son mouvement «fait peur aux gens.» «Il y en a une bonne dizaine à la Gare qui lisent Rouge, distribuent des tracts ou payent des souscriptions», mais «le trotskisme a du mal à passer et ils craignent de se faire embrigader, manipuler par le Parti…»
Du régime spécial au Grand Soir ?
Pourtant, Basile rêve de se démultiplier et cette période « historique » de mouvement social est, à cet égard, une aubaine. «On est complètement en phase avec les revendications des cheminots. Pendant l'AG, il y en a un qui a pris la parole parce qu'il ne comprenait pas ce que disait la CGT sur les 37,5 annuités. C'est vrai que c'était pas clair, la CGT s'était lancée dans un charabia sur les compensations… Moi je lui ai répondu, la position de Sud est simple: on défend les régimes spéciaux, un point c'est tout. Tout le monde m'a applaudi !» En temps de grève dure, ce discours clair et radical passe bien. Et, fort de son argumentaire, Basile parvient même à politiser quelques collègues : «Il y a quelques jours, il ne fallait parler que de la grève. Mais aujourd'hui j'ai proposé à des camarades cheminots d'aller soutenir les mal-logés de la rue de la Banque. Et ça les tente !» Il en a aussi profité pour en inviter d'autres au meeting de Besancenot, le 22 novembre, à la Mutualité…
Reste à savoir si l'essai peut se transformer, si, à partir de cette bataille matinale pour les régimes spéciaux, certains se sentiront l'envie de se mettre en route pour le grand soir. Au loin, la CGT regarde, un brin agacée, cette petite mouvance Sud-LCR qui s'agite dans les AG et pourrait bien récupérer la mise si les gros syndicats reculent. «On essaye de négocier pour vider la réforme de son contenu. Eux, ils veulent tout politiser», s'agace Gérard Filoche, cégétiste plus proche du PS. Pour le moment, pour les révolutionnaires, c'est l'état de grâce. L'après-midi même, tandis que Le Monde titre : «Les syndicats sont prêts à négocier, mais la base hésite», sur les forums de cheminots les messages décryptent ce qui se joue à ce moment charnière de la grève : «si la CGT appelle à la reprise, les gars vont se barrer chez Sud…»
(extrait de l'article de Mariane de Anna Borrel)
Aiguilleur à la SNCF, Basile milite depuis dix-huit ans à la LCR et depuis dix ans à Sud. La grève, c'est son petit Nöel. Et un formidable vivier pour le parti de Besancenot si la CGT négocie trop vite...
Un petit rayon de soleil éclaire le bout de la voie numéro 2, ce jeudi 15 novembre, à la Gare de l'Est. Sur un terre-plein jouxtant les rails, une troupe de cent cinquante cheminots se serre, anorak contre anorak pour lutter contre le froid. «Il y a du monde là, j'ai jamais vu ça… on est deux fois plus nombreux que le 18 octobre», lance Basile aux nouveaux arrivants qui viennent le saluer. Il est un peu plus de 11h00, au milieu du groupe, un leader syndical de la CFDT prend la parole : «Tout le monde est là ? On va commencer». Mais avant même que l'Assemblée générale ne démarre, la voix forte de Basile Pot s'élève déjà depuis la foule pour réclamer un vote. Motif : «C'est pas parce que l'intersyndicale a décidé que les journalistes n'étaient pas admis dans les AG que ça doit être comme ça. Dans les AG, c'est aux travailleurs de décider !» Un peu plus loin, Jean-Marc, photographe de Rouge, le magazine de la Ligue communiste révolutionnaire, attend de voir s'il peut rester… Mais Basile doit finalement reculer devant les rappels à l'ordre de Marie-Hélène, déléguée syndical de la CGT. A 38 ans, «militant professionnel» de la LCR depuis 18 ans, aiguilleur à la SNCF et membre du syndicat Sud-Rail depuis dix ans, Basile connaît la musique. Sa grande crainte ce matin : que la grève ne soit pas reconduite. «Il faut qu'on tienne jusqu'au 20 novembre, pour faire un grand mouvement avec les fonctionnaires… S'ils ne veulent pas que la presse reste, j'espère que c'est pas pour voter la reprise du travail en douce», s'inquiète-t-il.
Noël au mois de novembre
Une heure et demie plus tard, débriefing avec Jean-Marc dans un café près de la gare. Le visage du militant rayonne : «Reconduction à l'unanimité ! Même pas une abstention, rien !» Des sifflements de train retentissent, c'est la sonnerie du portable de Basile qui l'alerte des textos des « camarades » de la gare de Lyon, de la gare d'Austerlitz, de Bordeaux, Marseille… Son sourire s'élargit, il est midi et demi et le mouvement est reconduit partout en France. Un seul regret : «J'ai pas pu préparer le mouvement à fond : je travaille à mi-temps et c'est surtout quand je suis sur place que je peux sensibiliser les collègues. Mais je dois aussi aller aux AG de la ligue, écrire pour le Rail rouge, le fanzine qu'on distribue dans les cantines de la SNCF, coordonner le mouvement des camarades cheminots sur Internet…» Sans compter sa petite fille d'un an qui est malade, Basile est complètement débordé. Malgré des recrutements depuis deux ans en vue du « nouveau parti » que la LCR compte officialiser en janvier, les cheminots de la ligue ne sont guère plus de 70 dans toute la France. Et à la Gare de l'Est, Basile est tout seul. «En plus, cette gare est super difficile à bouger, maugrée-t-il. Je ne sais pas à quoi ça tient... mais regardez la Gare d'Austerlitz, chez eux c'est une insurrection tous les quinze jours!»
Soudain, la sonnerie du téléphone se fait plus forte : stop ! C'est Olivier Besancenot qui appelle. Il doit passer sur RTL dans quelques minutes. Basile l'informe brièvement, raccroche : «Olivier, c'est notre meilleure vitrine, c'est sûr. Il doit venir dans quelques jours à la Gare, j'espère que ça aidera les sympathisants à franchir le cap et à devenir adhérents de la Ligue. » Car malgré les bonnes nouvelles qui pleuvent, les temps sont durs pour le militant de la LCR. Basile a structuré sa vie en fonction de son «engagement» : il a choisi la SNCF «parce que c'est pratique pour militer», il n'a «pas raté un jour de grève depuis dix ans», il se rend à toutes les réunions de cellule, au stage de formation annuel de la Ligue, paye sa cotisation de 45 euros par mois, son abonnement à Rouge, et il s'est même marié à une militante de la LCR… Mais il sait qu'il ne peut pas demander un pareil investissement à ceux que l'organisation de Besancenot attire. De son propre aveu, son mouvement «fait peur aux gens.» «Il y en a une bonne dizaine à la Gare qui lisent Rouge, distribuent des tracts ou payent des souscriptions», mais «le trotskisme a du mal à passer et ils craignent de se faire embrigader, manipuler par le Parti…»
Du régime spécial au Grand Soir ?
Pourtant, Basile rêve de se démultiplier et cette période « historique » de mouvement social est, à cet égard, une aubaine. «On est complètement en phase avec les revendications des cheminots. Pendant l'AG, il y en a un qui a pris la parole parce qu'il ne comprenait pas ce que disait la CGT sur les 37,5 annuités. C'est vrai que c'était pas clair, la CGT s'était lancée dans un charabia sur les compensations… Moi je lui ai répondu, la position de Sud est simple: on défend les régimes spéciaux, un point c'est tout. Tout le monde m'a applaudi !» En temps de grève dure, ce discours clair et radical passe bien. Et, fort de son argumentaire, Basile parvient même à politiser quelques collègues : «Il y a quelques jours, il ne fallait parler que de la grève. Mais aujourd'hui j'ai proposé à des camarades cheminots d'aller soutenir les mal-logés de la rue de la Banque. Et ça les tente !» Il en a aussi profité pour en inviter d'autres au meeting de Besancenot, le 22 novembre, à la Mutualité…
Reste à savoir si l'essai peut se transformer, si, à partir de cette bataille matinale pour les régimes spéciaux, certains se sentiront l'envie de se mettre en route pour le grand soir. Au loin, la CGT regarde, un brin agacée, cette petite mouvance Sud-LCR qui s'agite dans les AG et pourrait bien récupérer la mise si les gros syndicats reculent. «On essaye de négocier pour vider la réforme de son contenu. Eux, ils veulent tout politiser», s'agace Gérard Filoche, cégétiste plus proche du PS. Pour le moment, pour les révolutionnaires, c'est l'état de grâce. L'après-midi même, tandis que Le Monde titre : «Les syndicats sont prêts à négocier, mais la base hésite», sur les forums de cheminots les messages décryptent ce qui se joue à ce moment charnière de la grève : «si la CGT appelle à la reprise, les gars vont se barrer chez Sud…»
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